Lettre à l'enfant

Salut petit homme,

On s'était donné rendez-vous. Tu te souviens ? Sur le chemin de l'école...

Sur cette route que tu arpentais dix fois dans la semaine et où, pour passer le temps, tu t'inventais des challenges plus ou moins inspirés. Marcher en équilibre sur la bordure du trottoir... Sauter pour atteindre les panneaux de signalisation... Retenir sa respiration entre le passage de deux voitures... Et j'en passe.

Le soir, en rentrant de l'école donc, fatigué de la journée et de ces jeux, tu laissais tes pensées vagabonder vers d'autres horizons. Tu te demandais à quoi ton avenir pourrait bien ressembler. Dans 10 ans. Dans 20 ans. Dans 30 ans. Avec toujours cette même idée qui revenait à la fin. Et si je me croisais, là, maintenant, moi à 40 ans, qu'est-ce que je me dirai de la vie qui m'attend ?

On y est, petit homme. Et tu sais quoi ? Je crois qu'on s'est vraiment croisé.

Mais à ton avis, qu'est-ce qu'un homme de 40 ans peut bien dire à un enfant de 10 ans sur les épreuves de la vie qu'il va rencontrer ? J'aurais pu te dire que tu te marierais, que tu aurais de beaux enfants dont tu pourras être fier, que tu seras à l'abri des problèmes matériels et que tu trouveras toujours un travail pour te plaire. Mais tout cela ne t'apportera pas le bonheur que tu espérais tant. Est-ce qu'on peut dire ça à un enfant de 10 ans ?

Alors, quand on s'est croisé je t'ai laissé le message suivant : "Suis la route d'Albator et du Capitaine Flam, tu comprendras."

Comme beaucoup d'enfants de ta génération tu étais passionné par leurs aventures. Mais ce sont les valeurs qu'ils incarnent qui vont résonner plus particulèrement en toi au fil du temps.

Quand tu retomberas sur quelques épisodes d'Albator, rediffusés 10 ans plus tard.

Quand tu revisionneras toutes les cassettes video du Capitaine Flam, 20 ans plus tard.

Quand tu te repasseras l'intégrale des deux en DVD, avec tes enfants, 30 ans plus tard.

"Il n'est pas homme à renier une promesse. Il n'a qu'une parole. Il ira, fusse au péril de sa vie."

Tu n'as pas idée comme cette phrase, dans le premier épisode d'Albator, a pu te marquer.

Cela t'a parfois desservi, à accorder de l'importance à des promesses qui n'en étaient pas.

Cela expliquera ton souci de la ponctualité... la promesse d'être là en temps et en heure.

Mais surtout, ce sera ta planche de salut.

Quand tout s'écroulera autour de toi et que tu en viendras à douter de toi-même.

Tu pourras garder cette certitude d'avoir toujours été fidèle aux engagements que tu as pris.

D'être resté intègre.

Et sur cette base, te reconstruire, plus fort de l'expérience acquise.

"Je me bats pour défendre ce que j'ai au fond du coeur. C'est tout."

"Le libre choix, c'est la dignité de l'homme."

"Hissez le pavillon noir, et que les hommes qui se traînent à genoux le voient bien. Qu'ils admirent l'étendard de la révolte !"

"Désormais, tu pourras être plus tolérant. C'est la plus grande des vertus, mais tu ne dois pas pour autant oublier tes convictions."

"Vous aussi avez fait un serment, celui de rester toujours fidèles à la bannière de la liberté."

Tout comme Albator, le Capitaine Flam est un défenseur de l'Humanité.

Et même s'il agit pour le gouvernement il a son propre système de valeurs bien plus nuancé qu'un pur manichéisme.

Il lui arrive même de mentir... pour redonner de l'espoir à ceux qui n'ont plus aucune raison d'en avoir.

Il peut même s'associer à des criminels si les circonstances l'exigent.

Suivre sa propre voie. Rester intègre. Défendre l'Humanité.

Un pied dans le système, comme le Capitaine Flam.

Un pied en dehors, comme le Capitaine Albator.

C'est là ton point d'équilibre.

Voila le message, petit homme.

Poursuis ta route tranquillement.

On fera comme si on ne s'était pas croisé.

Shaederas, le 27 janvier 2015